Rapport de recherche d'Oxfam Vivre en pleine flambée des prix Comment la crise du prix des denrées alimentaires de 2011 affecte-t-elle les personnes pauvres ? Résumé Naomi Hossain et Duncan Green Institute of Development Studies (IDS) et Oxfam GB Juin 2011 Les rapports de recherche d'Oxfam visent à communiquer les résultats de ses recherches, à contribuer au débat public et à susciter des réactions sur les questions de développement et de politique humanitaire, ainsi que sur les pratiques associées. Ils ne reflètent pas nécessairement les positions politiques d'Oxfam. Les opinions exprimées sont celles des auteurs et pas forcément celles d'Oxfam. www.oxfam.org « J'ai souvent peur de demander le prix. Je le fais de loin, j'écoute la réponse, puis je repars lentement. » Travailleur agricole à Dhamuirhat, district de Naogaon, Bangladesh Le prix des denrées alimentaires a augmenté dans le monde tout au long de l'année 2010 et début 2011. Quelles sont les implications pour les personnes pauvres qui vivent dans des pays en développement et consacrent jusqu'à 80 % du revenu familial pour se nourrir ? Pour en savoir plus, les partenaires de recherche de l'IDS et Oxfam sont allés à leur rencontre dans huit « points d'écoute » communautaires au Bangladesh, en Indonésie, au Kenya et en Zambie en 2009 et 2010, et y sont retournés en mars 2011. Les chercheurs ont alors posé les questions suivantes : comment les prix et les salaires ont-ils évolué depuis l'an dernier ? Comment les personnes s'adaptent-elles à ces changements ? Selon elles, qu'est-ce qui provoque la volatilité des prix des denrées alimentaires et que faudrait-il faire, face à cette situation ? Le tableau global dressé par ces huit communautés révèle des impacts plus variés que lors de la flambée des prix des denrées alimentaires et du pétrole en 2008. Cela est dû en partie au fait que les prix des denrées alimentaires n'ont pas augmenté partout de manière homogène. Par exemple, la Zambie a vu le prix du maïs (son aliment de base) reculer depuis 2010, tandis que les prix des aliments de base du Bangladesh, de l'Indonésie ou du Kenya (le riz ou le maïs) sont plus élevés qu'en 2010. Dans les huit communautés, les prix de la plupart des autres denrées alimentaires, notamment les sources de protéines (viande, poisson, tofu ou lentilles), les légumes et l'huile de cuisson, ont également augmenté, à l'instar de nombreux produits de première nécessité non alimentaires tels que le combustible de cuisine, le transport, les loyers et d'autres produits encore comme les engrais en Zambie. Les conséquences plus hétérogènes de la flambée des prix des denrées alimentaires de 2011 reflètent le fait que certains groupes ont vu leurs revenus augmenter plus rapidement que l'inflation, contrairement à d'autres. Une tendance générale se dégage de la récente volatilité économique mondiale : les perdants s'enfoncent tandis que les vainqueurs se renforcent. La situation empire pour les perdants, qui se démènent déjà dans des emplois sous-payés du secteur informel comme le commerce de rue, la vente ambulante, les chantiers occasionnels, le commerce sexuel, la blanchisserie, le portage et le transport. Nombre d'entre eux n'a perçu aucune augmentation de revenus, ou si faible qu'elle a été absorbée par l'augmentation des prix des denrées alimentaires, sans parler de l'irrégularité de la clientèle et de l'accès au travail. Pour ces personnes, le tableau est encore plus sombre que l'an dernier. Elles sont intimement convaincues que l'État n'est pas de leur côté pour les aider à joindre les deux bouts. Les dispositions restreignant les lieux où elles peuvent exercer leur activité ou proposer leurs services, le harcèlement de la police et les nouvelles lois défavorables ont compliqué encore plus la vie de ce groupe au cours de l’année dernière, plutôt que de la faciliter. Mais pour certains groupes, généralement ceux qui s'en tiraient déjà relativement mieux, la situation est meilleure que l'an dernier. Les producteurs de denrées et les employés du secteur de l'export ont grandement bénéficié de la reprise économique mondiale, tout comme les personnes d'autres activités en lien avec ces groupes. Mais au Bangladesh, l'augmentation du salaire minimum pour les employés du secteur de l'habillement destiné à l'export (actuellement à 41 dollars par mois) ne découle pas de la reprise mondiale ; elle est le fruit d'une campagne longue et parfois violente. À l'inverse, les travailleurs du secteur de l'export en Indonésie n'ont pas l'impression d'être mieux lotis qu'avant, malgré le fait qu'il y ait davantage d'emplois et que le salaire minimum ait augmenté jusqu'à son taux régional (indonésien). Cela est dû au fait qu'il y a désormais plus de concurrence et des conditions d'éligibilité plus restrictives dans le secteur de l'export. Cela s'explique également par la nature plus « flexible » des contrats : ils sont plus courts et offrent moins d'avantages qu'avant la crise. 2 Vivre en pleine flambée des prix, Rapport de recherche d'Oxfam, Juin 2011 Les groupes tels que les employés du secteur public ne s'en sortent pas beaucoup mieux, mais leur position forte vis-à-vis des États leur a permis de maintenir leurs salaires au niveau de l'inflation. Les petits agriculteurs et les petits commerçants proposant marchandises et denrées alimentaires n'ont généralement pas tiré leur épingle du jeu, malgré le prix élevé des denrées alimentaires. Le coût considérable des intrants et le recul du pouvoir d'achat de la population ont fait fondre les marges liées à la culture et à la vente de denrées alimentaires pour ceux qui sont les moins à même de se diversifier et de fractionner leurs risques. Les populations s'adaptent aux prix élevés des denrées alimentaires de manières plus nuancées cette année qu'en 2009. Tandis que certains mangent moins et souffrent de la faim, on observe surtout une tendance à adopter une alimentation moins chère, de second choix et souvent de moins bonne qualité : produits fades cuits sans huile ni condiments, pièces de viande inhabituelles, cultures de qualité inférieure, généralement dans le cadre de régimes moins variés. Les conséquences sociales de l'augmentation du prix des denrées alimentaires semblent également plus modérées : on a signalé un nombre moins important d'enfants déscolarisés, mais on observe un sens accru des préoccupations concernant la dépendance vis-à-vis de la dette. Pour autant, les impacts varient en fonction du sexe selon un schéma déjà identifié lors des précédentes phases de recherche : les femmes sont soumises à une pression accrue pour préparer de bons repas avec moins de nourriture. Elles ressentent plus directement les difficultés à faire face à la faim de leurs enfants. Ces difficultés poussent les femmes à s'engager dans le secteur informel, mal payé, où elles se livrent entre elles une concurrence qui ne fait que réduire encore leurs revenus. Les hommes ne sont pas épargnés : l'augmentation du prix des denrées alimentaires a considérablement réduit leur capacité à pourvoir aux besoins de leur famille, provoquant des disputes au sein du foyer et découlant parfois sur des comportements alcooliques et violents. Dans les pires cas, les couples se séparent ou recherchent des partenaires plus aisés pour faire face aux temps difficiles. Dans un village du Bangladesh, certaines personnes auraient accumulé des microcrédits simplement pour rembourser leurs emprunts, car les pénalités de retard auraient augmenté. De nombreuses personnes dépensent moins sur les articles personnels tels que l'habillement et les cosmétiques, et limitent également leurs activités sociales. Les filets de sécurité de l'État ont joué un certain rôle, sans toutefois réussir à protéger les personnes contres les effets de l'augmentation des prix. Ces ajustements ne mènent généralement pas jusqu'à la famine, mais génèrent un niveau accru de mécontentement et de tension. Les personnes pauvres ont encore plus de mal à s'en sortir ; les angoisses du quotidien sont de plus en plus fortes et usantes. L'ampleur du mécontentement de la population vis-à-vis de la situation est d'autant plus claire lorsqu'il est question des causes de l'augmentation des prix des denrées alimentaires et des mesures à mettre en œuvre pour y remédier. D'après les réactions recueillies sur les huit sites, les prix des denrées alimentaires au niveau local dépendraient des récoltes et des conditions environnementales dans leur pays ; la pénurie est également une préoccupation sous-jacente forte, à en croire la manière dont les personnes parlent de la pression démographique et de la raréfaction des terres agricoles dans certaines régions. Peu considèrent les prix des denrées alimentaires au niveau international comme une cause importante ; certains réfutent même de tels facteurs, qu'ils tiennent pour des excuses pratiques avancées par leurs États inefficaces. Mais alors que les États sont tenus pour responsables de la protection de leur population face à la flambée des prix, ils sont généralement perçus comme incapables de le faire de manière efficace. Certains pensent que le maintien des prix des denrées alimentaires à un niveau bas n'est qu'une question de volonté des États ; en Zambie, par exemple, la population a mis la pression sur l'État à l'approche des élections pour qu'il assure des prix bas des denrées de base. Les raisons avancées par les personnes pauvres pour expliquer l'échec des États à agir sur l'augmentation des prix des denrées alimentaires s'articulent généralement autour de Vivre en pleine flambée des prix, Rapport de recherche d'Oxfam, Juin 2011 3 deux perceptions clés : d'une part que les États ne se soucient pas des préoccupations des personnes pauvres, et d'autre part que la corruption à différents niveaux du système empêche le contrôle des prix, soit parce que les inspecteurs du marché peuvent être soudoyés, parce que les responsables politiques sont redevables aux grands hommes et femmes d'affaires pour le financement de leurs campagnes électorales, ou enfin parce que des cartels ont le champ libre. La plupart des gens ne pensent pas qu'un manque de connaissance de la situation puisse être le principal problème, mais il est généralement admis qu'une surveillance plus étroite et une communication plus efficace (par le biais de manifestations, de protestations et de recherches de ce type) pourraient contribuer à donner du poids à leurs revendications. Les jeunes hommes vivant en ville semblent particulièrement en colère à cause des échecs de l'État. Dans un contexte de révolution au Moyen-Orient et d'autres manifestations contre les États en Europe, la tension et le mécontentement alimentés par les prix élevés des denrées alimentaires méritent une attention particulière. 4 Vivre en pleine flambée des prix, Rapport de recherche d'Oxfam, Juin 2011 Rapport de recherche d'Oxfam © Oxfam International, juin 2011 Ce rapport a été rédigé par Naomi Hossain (Institute of Development Studies) et Duncan Green. Il fait partie d'une série accompagnant le rapport d'Oxfam « Cultiver un avenir meilleur », disponible à l'adresse www.oxfam.org/fr/cultivons. Ce document est protégé par droits d'auteur, mais peut être utilisé librement à des fins de campagne, d'éducation et de recherche moyennant mention complète de la source. Le détenteur des droits demande que toute utilisation lui soit notifiée à des fins d'évaluation. Pour copie dans toute autre circonstance, réutilisation dans d'autres publications, traduction ou adaptation, une permission doit être accordée et des frais peuvent être demandés. Courriel publish@oxfam.org.uk. Pour toute information sur les questions soulevées dans ce document, veuillez envoyer un courrier électronique à : research@oxfam.org.uk. Les informations contenues dans ce document étaient correctes au moment de la mise sous presse. www.oxfam.org Publié par Oxfam Grande-Bretagne pour Oxfam International sous le numéro 978-1-84814-8949 en juin 2011. Oxfam GB, Oxfam House, John Smith Drive, Cowley, Oxford, OX4 2JY, Royaume-Uni. Oxfam est une confédération internationale de 15 organisations qui travaillent ensemble dans 98 pays pour trouver des solutions durables à la pauvreté et l'injustice : Oxfam Amérique (www.oxfamamerica.org), Oxfam Australie (www.oxfam.org.au), Oxfam-en-Belgique (www.oxfamsol.be), Oxfam Canada (www.oxfam.ca), Oxfam France (www.oxfamfrance.org), Oxfam Allemagne (www.oxfam.de), Oxfam Grande-Bretagne (www.oxfam.org.uk), Oxfam Hong Kong (www.oxfam.org.hk), Intermón Oxfam (Espagne) (www.intermonoxfam.org), Oxfam Irlande (www.oxfamireland.org), Oxfam Mexique (www.oxfammexico.org), Oxfam Nouvelle-Zélande (www.oxfam.org.nz), Oxfam Novib (Pays-Bas) (www.oxfamnovib.nl), Oxfam-Québec (www.oxfam.qc.ca), Oxfam Inde (www.oxfamindia.org) Les organisations suivantes, actuellement membres observateurs d'Oxfam, sont engagées en vue d’une affiliation complète : Oxfam Japon (www.oxfam.jp) Oxfam Italie (www.oxfamitalia.org) N'hésitez pas à contacter les organisations répertoriées ci-dessus, par téléphone ou par courrier, pour toute information complémentaire. Vous pouvez également vous rendre sur : www.oxfam.org. Courriel : advocacy@oxfaminternational.org www.oxfam.org www.oxfam.org, Rapport de recherche d'Oxfam, Juin 2011 5